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Indienne

Indienne (clic)

Mise à jour
31 Aug 2024

Fabrique

Fabrique d’indiennes (clic)

NOTE SUR L'HISTORIQUE DE L'INDIENNE

à Villefranche-en-Beaujolais

PAR GEORGES MIEG

Séance du 26 Octobre 1921

Le grand développement que prit, au milieu du xve siècle, l'industrie des toiles peintes à Mulhouse, ne tarda pas à lui amener des imitateurs, parmi lesquels se place la petite cité de Villefranche-en-Beaujolais, qui, dès 1772, installa cette industrie chez elle. Par suite des rapports qui s'établirent rapidement entre cette ville et la nôtre, cette intéressante tentative fait un peu partie de notre histoire et, comme telle, mérite d'être signalée ici. Un industriel de Villefranche, Monsieur Joseph Balloffet, a publié peu avant la guerre un intéressant travail faisant l'historique complet de l'industrie des toiles peintes dans cette ville, et c'est ce travail que nous nous proposons aujourd'hui d'analyser brièvement.

La première manufacture d'indiennes est établie en 1772, à Béligny près Villefranche, dans l'ancien hôpital de la Quarantaine, par J. B. Humblot et Arnould Buiron, son beau-frère. Mais, pour avoir toutes les chances de réussite de leur côté, ces industriels s'adressent sans tarder à Messieurs Nicolas Risler & Cie, de Mulhouse, qui, après conclusion d'un contrat d'association en bonne et due forme, leur envoient très rapidement 40 ouvriers imprimeurs et 30 tisseurs alsaciens bien au courant de la fabrication. Un des associés de la maison N. Risler & Cie, Théodore Braun, quitte lui-même Mulhouse, et vient s'installer à Villefranche, pour diriger la nouvelle fabrique qui s'appelle en 1775 Buiron, Braun & Cie.

C'est alors que Théodore Braun et sa femme, née Marthe Hofer, se lient de grande amitié avec J. M. Roland de la Platière, le futur ministre de Louis XVI, alors inspecteur des manufactures à Villefranche(1) et avec sa femme, la célèbre Madame Roland. Cette amitié fut longue et dura encore après le départ de Villefranche du couple Roland, jusqu'à la mort presque simultanée des deux amies en 1793, l'une d'elles ayant péri sur l'échafaud(2).

Théodore Braun, installé à Villefranche, devient une des notabilités de l'endroit, et pendant un certain nombre d'années voit prospérer es affaires. Toutefois, pendant la tourmente révolutionnaire, l'usine ressent vivement la crise commerciale qui sévissait alors partout, et Braun y cherche sans tarder un remède, en s'adjoignant deux jeunes collaborateurs, et la maison prend en 1797 le nom de Braun, Lacour et Thierry.

Lacour est resté inconnu pour nous. Quant à Jean-Ulric Thierry, c'était un enfant de Mulhouse, qui avait quitté sa ville natale à 15 ans pour aller travailler à Aix-en-Provence et à Lyon. Cette association, qui semblait née sous d'heureux auspices, ne prospère cependant pas, et est déjà dissoute en 1800. Jean-Ulric Thierry retourne alors à Mulhouse, où il épouse la fille aînée du chroniqueur Mathieu Mieg et fonde la fabrique de toiles peintes Thierry-Mieg & Cie, qui dura 95 ans et atteignit un grand degré de prospérité.
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(1) Monsieur Balloffet a aussi publié le «Mémoire de J. M. Roland de la Platière sur les articles qui se fabriquaient en Beaujolais à la fin du XVIIIe siècle». Ce mémoire très développé donne des indications détaillées sur l'industrie de cette région.
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(2) Dans un opuscule intitulé: «Mulhouse en 1797, Figures d'autrefois», Auguste Thierry-Mieg a donné de très intéressants détails sur les rapports des ménages Roland et Braun.
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Resté seul, Braun s'était adjoint son fils Mathias, qui fut le père de Théodore Elisé Braun, écrivain distingué, mais, malgré tant d'efforts, la manufacture ne peut se relever et elle est vendue par expropriation forcée en 1806. Braun revient se fixer à Mulhouse et ne quitte plus sa ville natale.

Notons qu'il avait eu comme collaborateurs coloristes les Singer, père et fils, venus de Mulhouse avec lui. Quant aux ouvriers, la plupart d'entre eux étaient alsaciens ou suisses, beaucoup s'établirent à Villefranche, et y firent souche. A plusieurs reprises, cet afflux d'Alsaciens se renouvela, si bien qu'il existe actuellement encore une colonie alsacienne, près de l'usine d'impression de Frans.

« Et maintenant, dit Monsieur Balloffet, se pose une question des plus intéressantes : celle de savoir quels genres d'impressions fabriquait Braun à Béligny ; de quels tissus il se servait pour ses indiennes; de quels dessins il les décorait. Nous pouvons assez exactement répondre à cela, grâce à, Roland, qui a pris soin d'en parler et de joindre même quelques échantillons dans un rapport, écrit par lui, sur les articles qui se fabriquaient en Beaujolais en 1785. Ce hasard extraordinaire nous permet d'avoir une idée des productions de Braun et de ses collègues, que nous allons essayer de décrire aussi exactement que notre souvenir nous le permet.
Les dessins sont très simples : fleurettes, grains de blé, croissants, pois, trèfles se détachent à intervalles réguliers en noir, violet ou rouge, sur des fonds blancs, bleus ou lie de vin, etc... Un seul dessin forme un pointillé agréablement contourné en réserve blanche sur indigo. Les teintes sont plutôt pâles et ternes, d'un aspect peu agréable à l'œil.
Ces impressions se faisaient sur deux tissus, fabriqués générale ment en Beaujolais : les garas, en 3/4 ou 7/8 les croisés ou draps de coton en 1/2 aune de large. Le prix des premiers variait de 50 s. à 34 s.; celui des seconds était uniforme, soit 2 l. 10 s. l'aune, impression comprise bien entendu. »

Terminons en quelques mots l'histoire de l'usine de la Quarantaine, qui changea de mains à plusieurs reprises, et continua à fabriquer des toiles peintes jusque vers 1850. Puis on y établit des ateliers de teinture, et aujourd'hui ces vastes bâtiments sont occupés par trois ou quatre locataires qui y exercent des industries diverses. Une autre indiennerie de la région est celle de la Rippe, à Chervinge, fondée par un sieur Bernard à la fin du xve siècle. Elle ne connut vraiment la prospérité qu'à partir de 1830, époque où elle fut dirigée par J.-J. Koenig, avec la collaboration d'Alsaciens et de Suisses. Après 1850 elle fut transformée en filature et cardage de coton.

A Villefranche même, nous pouvons citer encore les ateliers d'impression suivants :

Atelier Dardel, fondé par Samuel Dardel, neuchâtelois d'origine, peu après l'arrivée de Braun à Béligny. Cet atelier passa en 1811 aux mains de son neveu Claude Dardel dessinateur, lequel, en 1818, entra dans la maison Schlumberger-Grosjean à Mulhouse. Après avoir été fabricant d'indienne dans notre ville, il se remet au dessin et dirige finalement l'atelier de gravure de Daniel Dollfus.

Atelier Hubeaux, fondé par Jean Hubeaux, au début de la Révolution, et qui subsista jusqu'en 1818.

Citons enfin quelques autres ateliers d'impression sans grande importance fondés au cours du XIXe siècle, et dont l'existence fut éphémère.

En terminant son intéressant travail, Monsieur Balloffet recherche les causes pour lesquelles l'industrie des toiles peintes n'a pu prospérer à Villefranche. En premier lieu, dit-il, les articles traités, étaient en général de qualité commune, les prix de vente bas, et conséquemment les bénéfices restreints. Puis la concurrence d'autres usines peu éloignées déprécia outre mesure les prix faits aux clients, qu'on se disputait à coups de baisse.

D'autre part, les indienneurs de Villefranche semblent avoir manqué d'imagination, s'être laissé aller à la routine, et n'avoir pas suivi les progrès faits à Mulhouse et Rouen. Enfin le manque de tissus écrus fabriqués sur place, qu'on était obligé de remplacer par d'autres venus de très loin, a contribué pour une bonne part à la disparition des indienneries de Villefranche, qui ont été remplacées par l'industrie des doublures, parvenue à une grande prospérité.

Malgré son échec définitif, après de brillants débuts très prometteurs, cette tentative d'implanter à Villefranche notre industrie des toiles peintes méritait de n'être pas passée sous silence, et nous remercions Monsieur Balloffet de s'en être fait l'historien.

Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque municipale de Mulhouse


Famille Dardel

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