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Jean Börlin
Jean Börlin
jouant dans "La maison des fous"
Maré
Rolf de Maré
Directeur des Ballets Suédois


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LA BRETAGNE
ARTISTIQUE
Les Ballets Bretons

Se référant aux Ballets Suédois dirigés par Rolf de Maré et dont les décors étaient de Nils Dardel, l'auteur tire dans "La Bretagne artistique" un parallèle avec les Ballets Bretons en 1924.

 
Les souples danseurs des Ballets Suédois et, après eux, les nerveux bûcherons du Theâtre paysan Alsacien, viennent de donner à Paris, au Théâtre des Champs-Elysées, une série de représentations qui doivent émouvoir les artistes bretons.

Deux des œuvres suédoises représentées : "les Vierges Folles” et "Nuit de St-Jean” peuvent même les inspirer.

En Suède et plus particulièrement en Dalécarlie, pays enchanté dont le charme, grâce aux romans de Selma Lagerlöf, est venu jusqu'à nous, il est d'usage d'orner les maisons villageoises de grandes toiles, hautes en couleur, dont les sujets sont le plus souvent empruntés à l'ancien et au nouveau Testament : c'est une de ces scènes à Ia fois biblique et populaire que l'auteur des Vierges folles a fait revivre. Le thème est vieux comme St-Mathieu : les dix vierges sages ne songent qu'à garder pure la flamme de leur lampe : les dix vierges folles ne songent qu'aux plaisirs, mais bientôt leur lampe s'éteint : c'est la lumière qui leur manque : c'est en vain aussi qu'elles veulent entrer dans le temple où se consacre le bonheur nuptial ; elles ne peuvent qu'assister, de loin et avec tristesse, au bonheur qui leur est défendu.

Les décors de ce ballet-pantomime ont été brossés dans le ton des peintures paysannes, La musique s'est inspirée de vieux airs suédois, notamment d'un cantique que depuis trois siècles on chante en Dalécarlie, personne n'y a vu de profanation.

La seconde œuvre Nuit de St-Jean, met en scene la fête rustique du 24 juin, En Bretagne, c'est la fête des feux. En Suède c'est plutôt celle de la lumière, puisque la nuit de la St-Jean n'y dure en réalité que quelques instants, le soleil quittant å peine l'horizon. Mais là-bas, comme dans notre pays, elle est l'occasion de réjouissances traditionnelles : on plante un mai fleuri et garçons et filles dansent joveusement autour, buvant et chantant entre deux rondes. La fête se termine par une sarabande qui gagne tous les villages.

Telles sont les scènes que musiciens, décorateurs et chorégraphes suédois ont interprétées avec toute la fantaisie — tout l'entrain et tout l'art qui conviennent ; le public a senti qu'on lui apportait ainsi un peu du parfum de Ia campagne Dalécarlienne et un peu de la splendeur de ses horizons et il a vigoureusement applaudi.

En assistant à ce succès je ne pouvais m'empêcher de regretter que nos compositeurs bretons n'aient pas encore songé à tirer, eux aussi, de leur terre natale toutes les richesses qui v restent enfermées.

La nuit de St Jean ! quel Breton ne l'a pas vécue autour du "feu de joie” ou les visages et les rondes s'illuminent de clartés inaccoutumées.

Dans un petit livre écrit récemment je m'a pu qu'insuffisamment faire sa part au symbole de la fête du feu : cette fête doit être traitée dans toute son ampleur : seul le ballet, tel qu'il est compris aujourd'hui, disposant simultanément de la musique, de Ia danse, de la mimique et des couleurs peut rendre scéniquement, une manifestation collective aussi complexe, Le ballet doit donner un puissant relief aux légendes et traditions bretonnes, on ne peut en douter après avoir vu la nuit de St-Jean.

Qui done fera en Bretagne ce qu'ont fait en Suède, des musiciens comme Hugo Alfen et Kurt Atterberg, des décorateurs comme Nils de Dardel ou Einar Ermann ?

Les éléments ne manquent pas : la Bretagne n'est elle pas le pays des belles légendes, des vieilles traditions et aussi des idylles délicates ! Certains usages, suivis surtout au moment des mariages y sont très pittoresques : les danses n'y manquent pas de caractère ; — au beau siècle du menuet et de la gavotte, elles faisaient déjà I'admiration de Madame de Sévigné ; même rustiques elles sont riches en heureux effets. Massine dans les Contes Russes ne nous a-t-il pas montré quel parti on pouvait tirer, dans un ballet, du bruit des sabots ? quel musicien illustrera les "quedennes”, les "dérobées”, les "ridées” ou les "jabadaos” tels que les a vus un poète du terroir :

Alors, blanc et noir, vert, bleu, rose
Se développe le ruban
Des danseurs en bizarre pose
Et d'aspect gaillard et flambant.

Dans les trémoussements des groupes
Comme poissons pris au filet
On voit frétiller sur les croupes
Les jupes formant bourrelet.

Et la chaine toujours ondoie
Avec ses enchevêtrements,
Ses replis ; ses éclats de joie
Couvrent le son des instruments.

Car, les airs locaux sont aussi expressifs que les danses.

Le biniou avec sa musette et son bourdon, est, quand il se mêle à la bombarde, une source fraîche et abondante de sonorités.

Les compositeurs de tradition bretonne les connaissent bien : déjà des folkloristes ont recueilli des themes qui pourraient être facilement utilisés : certains airs de danse, une fois harmonisés, s'adapteraient d'eux-mêmes à une représentation chorégraphique. N'avons nous pas d'ailleurs à la tête des Conservatoires de Strasbourg et de Rennes deux maîtres avertis qui savent toutes les ressources de la musique populaire bretonne et qui peuvent lui faire honneur.

Quant aux costumes ceux de Pont l'Abbé ou de Plougastel — pour ne citer que ceux là — sont des modèles tout trouvés. Peut-on désirer une ronde plus colorée, plus entraînante, plus passionnée que celle que Lemordant a peinte pour le plafond de Rennes : il suffit, le moment venu, de la faire descendre... du plafond sur la scène.

Sans doute le chorégraphe manque en Bretagne. Mais il n'est pas difficile d'en trouver un. Si nous en croyons la chronique, le Théâtre des Champs-Elysées va devenir le séjour fixe des Ballets Suédois. Nous pouvons toujours y rencontrer M. Jean Borlin. Personne mieux que lui ne pourrait articuler nos légendes et styliser nos danses déjà scrupuleusement cadencées.

Assisterons nous done l'hiver prochain aux Ballets Bretons ? Nous pouvons l'espérer, nous devons le désirer et dès à présent ne rien négliger pour assurer leur succès. Notre art régional n'est-il pas en œuvres et en hommes, aussi riche que l'art populaire russe, suédois ou alsacien ?

Micnel GEISTDOERFER

N, B. — Le Congrès des Associations bretonnes réuni récemment å Rennes a donné le soir, deux représentations artistiques : une "de gala”, autre "populaire” ! Peut être penserez-vous qu'ayant une occasion de rendre à la musique et à la littérature bretonne, un hommage digne d'elle, les organisateurs de ce congrès ont songé à faire jouer "Myrdika" ou "le Pays" ou d'autres œuvres musicales de Bourgault-Ducoudray, Ropartz, Martineau, Aubert, Ladmirault, Le Flem, Vuillemin, Léon Moreau, etc...! Peut-être supposez-vous, qu'ils ont fait lire les belles pages des grands écrivains bretons ? Pas du tout. Au "Gala" comme à la représentation "populaire" ils ont produit Thodore Botrel dans son répertoire et donné un "Bazvalan" de M. Louis Gibist.

Tant il est vrai, ô régionalistes, que ce sont toujours les cordonniers qui sont les plus mal chaussés !

Mais comment s'étonner après cela que la vraie Bretagne soit si mal connue et parfois si maltraitée !

M.G.



Famille Dardel

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