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Deux articles : 1989 et 1997

Raymond
Raymond Dardel

Raymond Dardel
en course au large

Surfer dans les mers du Sud! Quel navigateur n'a pas rêvé une fois de pouvoir s'offrir ce plaisir. Raymond Dardel est de ceux-là. Dans quelques jours, il va déposer son sac à bord de «Merit» pour la deuxième étape de la Course autour du monde, Punta del Este-Fremantle (départ le 28 octobre). Équipier à part entière, Raymond Dardel sera aussi le médecin de l'étape.

C'est dans son cabinet médical de Vouvry que nous avons rencontré le docteur Raymond Dardel. En plein préparatifs de départ. Il devait rejoindre l'équipage du voilier suisse à Punta del Este en fin de semaine.

Monter à bord de «Merit» pour ce qui sera la plus difficile étape de la course (Fehlmann dixit), un choix délibéré?

— Ils (le Swiss Ocean Racing Club) cherchaient un médecin pour cette étape, j'ai posé ma candidature. C'est donc un choix imposé mais c'est celle que j'aurais choisie si j'en avais eu la possibilité. Je suis donc content que ce soit celle-là. Se faire de grands frissons dans les mers du Sud, un rêve.

Raymond Dardel et la mer, une passion?

En mer — Je navigue depuis fort longtemps. En Bretagne ou en Turquie, chaque année j'assouvis cette passion, une grande passion. J'ai même construit un voilier de douze mètres, en acier, avec l'intention de prendre le large pour une année. J'ai eu la possibilité de m'installer à Vouvry avec un confrère. Adieu la croisière. Mon voilier est parti pour l'Australie, sans moi ...

Une chance donc qu'aucun médecin n'ait pu se libérer pour toute la Course autour du monde?

— Je conçois qu'aucun confrère installé ne puisse tout lâcher pour toute l'épreuve. Par contre, pour une étape, on peut toujours s'arranger. C'est mon cas. J'ai la chance de travailler avec un autre confrère, dans le même cabinet. Une absence de deux mois (19 octobre-13 décembre) était concevable. Je n'ai pas laissé passer l'occasion.

Équipier à part entière dans le quart dirigé par le Valaisan Gérald Rogivue, vous serez donc en plus le médecin de bord. A quels risques serez-vous confronté

— Il y a les petits «bobos» habituels, refroidissements, troubles digestifs ou accidents musculaires. Il se peut toutefois que je sois confronté à des cas plus graves, traumatismes dus à un coup de bôme, à l'explosion d'une poulie.

L'ennemi numéro un déclaré de Fehlmann est le poids. Votre équipement médical vous permettra-t-il de faire face ?

— Il ressort d'une rencontre de tous les médecins des bateaux que la trousse de «Merit» est la .plus complète. Elle nous permet de faire face à la situation, jusqu'à une trépanation ou une péritonite. Elle comporte même une pince «d'arracheur de dent»

Il fut un temps où les équipiers d'une telle course avaient dû subir l'ablation de l'appendice avant le départ. Qu'en est-il aujourd'hui?

— Une telle pratique n'a plus cours aujourd'hui. L'ablation à froid s'est révélée aussi dangereuse qu'une crise aiguë qui n'est quand même pas très courante.

Avez-vous suivi une préparation spéciale?

— Les six médecins qui monteront à bord de «Merit» ont été réunis par Maurice Adatto, le toubib d'«UBS-Switzerland». Son expérience nous a été utile. En tant que généraliste, j'ai un avantage sur d'autres confrères plus spécialisés. Et mes futurs patients sont de jeunes athlètes en pleine forme.

A 40 ans, le docteur Raymond Dardel va vivre une grande aventure. Il s'en réjouit mais est conscient que cela ne sera pas du gâteau. Son jeune fils ne lui a-t-il pas répété ces derniers jours: «Tu feras attention, papa!» Il l'a écouté. Allez, bon vent, toubib!

Entretien Gérald Théodoloz

Le Nouvelliste, 19 octobre 1989, p.25


Toubib dans le vent

En 1977, il construisait son premier bateau. Douze ans plus tard, on le retrouve sur «Merit». Aujourd'hui, «Muncho» pense au jour où il mettra les voiles.

Suisse, mais né à Bruxelles. Petite enfance au Chili. Puis la Belgique. Enfin la Suisse... Dès son plus jeune âge, Raymond Dardel a tiré des bords, louvoyant d'un continent à l'autre. Rien de tel pour forger une âme de marin. L'adolescent qui barre, quelques années plus tard, son Vaurien illustre bien cette image. Mais la mer du Nord ne suffit pas à son bonheur. La fameuse école des Glénans, au large de la Bretagne sud, fascine le jeune homme. Il s'y rend trois années de suite, partageant l'amitié d'autres mordus. Et découvrant surtout le charme — et les pièges — des côtes bretonnes. Lorsqu'il rentre en Suisse, Raymond Dardel — que ses copains appellent très vite «Muncho» (peut-être parce qu'il partage la même fièvre que Loti et rappelle l'un de ses personnages) — navigue autant qu'il peut sur le Léman à bord d'un Fireball, un dériveur de cinq mètres.

Il tâte aussi du «cata» — un Tornado — participant comme équipier à ses premières régates. «Muncho» essaie de conjuguer le sérieux des études de médecine avec sa soif... d'eau. En 1977, il a la chance de convoyer un ketch de quinze mètres des Canaries au Sénégal avant de remonter sur 50 kilomètres le fleuve Sine Saloum et de finir son périple en Gambie. Une idée lui trotte dans la tête: «Je me suis acheté une coque en acier de Damien 40, un douze mètres.» «Muncho» mettra quatre ans à «habiller» son bateau, bossant chaque fois qu'il le peut à Romanel: «Quand on construit des bateaux, on rêve, on ne navigue pas.» La mise à l'eau se fera à Morges. Imaginait-il vivre à bord? «Muncho» voit les choses en face: il choisit d'ouvrir un cabinet médical à Vouvry. Étant donné ses engagements professionnels, Raymond Dardel se rend à la réalité: «Ce gros bateau sur le lac n'avait pas de raison d'être. Il était fait pour les mers du Sud. Je l'ai vendu.»

Comme sa poche

«Muncho» n'en fait pas moins l'acquisition, avec deux copains, d'un 6 m 50 SI: «Je n’ai fait que de la régate sur le Léman. J'étais de toutes les épreuves.» En 1987, le toubib s'accorde un plaisir: il achète cette fois un Toucan (10 m 50): «Plus que jamais, j'avais la régate dans la tête.» Généralement bien placé, une fois vainqueur du championnat du Haut-Lac, «Muncho» adore ce climat particulier qui conduit les «voileux » à s'éclater au gré d'un calendrier chargé et à partager dans cette optique-là une solide amitié. Signe du destin? Le docteur Dardel feuillette un jour le «Bulletin des médecins suisses». Qu'elle n'est pas sa surprise de tomber sur une annonce rédigée par Pierre Fehlmann: «Cherche médecin-équipier pour une étape de la Whitebread, Punta del Este-Freemantle.

«C'était très excitant, je correspondais au profil recherché. L'idée de parcourir 14 500 kilomètres sur «Merit» m'a emballé. Il n y avait qu’un problème: j'avais promis à mes enfants de naviguer avec eux en juillet. Quand j'ai entendu Fehlmann me dire : «Tu viens faire la Fastnet avec nous, ça t'entraînera », j'ai dû lui répondre non.

Finalement, plus tard, j'ai pu faire un convoyage avec «Merit » du Havre à Southampton.

Fa-bu-leux! «Muncho» réalise son rêve: «Merit» quitte Punta del Este le 28 octobre 1989. Il lui faudra vingt-huit jours pour rallier Freemantle: «On a navigué dans des paysages dingues, avec des vagues gigantesques, emportés dans des surfs impressionnants.

En mer Je n'avais qu'une angoisse: celle de voir un membre de l'équipage être victime d'un gros pépin. Et de devoir, en conséquence, prendre la décision de stopper la course.» Heureusement, à part quelques mycoses et rhumes, rien de fâcheux ne se produira. Le démon de la course emporte «Muncho»... qui retrouve «Merit» pour la Brighton-Cadix en 1990 et quelques épreuves, l'année suivante, au large de Porto Cervo en Sardaigne.

L'image la plus folle que le médecin garde de la compétition est liée à Québec-Saint-Malo (1992): «La descente du Saint-Laurent a été quelque chose de fabuleux. C'était superbe et en même temps terriblement impressionnant. Sous les coups de boutoir de vents en furie, on a tout pété. Je ne retiens qu'une image: celle d'une navigation forcenée.» «Muncho» remet ça en 1994 pour la course de l'Europe et s'octroie «une jolie promenade de santé» en 1995 avec la Montego Bay Race (Floride-Jamaïque).

Momentanément assagi, le toubib de Vouvry se plaît à retrouver les membres du Club de voile du Vieux-Chablais (qu'il préside) pour évoquer tous ces souvenirs. Et à parler de l'avenir: «On va enfin avoir notre club-house au Bouveret».

Il avoue aimer autant l'esprit des régates internes qui animent les eaux à la belle saison que celui qui prévaut en championnat de Suisse ou de série. Sa passion, «Muncho» ne manque pas de la faire partager aux gosses qui s'initient avec enthousiasme à la voile dans le cadre du club. Relève assurée...

Quand on lui parle du futur, Raymond Dardel sourit: «Un jour, je me retirerai sur les océans pour m'en aller tirer des bords d'île en île et boire quelques ti-punch. La voile, ce sera toujours pour moi une émotion. J'aimerais aussi naviguer au large des pays nordiques. Norvège et Islande, par exemple.

Une chose dont je suis sûr, c'est que je vivrai ma retraite sur un bateau.»

Michel Pichon

Le Nouvelliste, 4 février 1997, p.27


Voir aussi :
Fiche généalogique de Raymond Dardel



Famille Dardel

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