Valdo Barbey a 34 ans quand la guerre éclate. Né près d’Yverdon, parti faire les Beaux-Arts à Paris, le jeune peintre est chargé en septembre 1914 de dessiner les uniformes de l’ennemi. La routine de l'«arrière» l’oppresse. Il veut se battre. Fin octobre, son vœu est exaucé. Barbey est envoyé au front, dans le Pas-de-Calais.
Son Journal d'un fantassin, qu'il publie en 1917 sous le pseudonyme de Fabrice Dongot, raconte au quotidien le terrible face-à-face des tranchées. 26 octobre 1914: «A un mètre devant notre abri sont creusées quatre tombes avec une croix sur laquelle se balance un képi. Ce sont quatre malheureux tués tout près d’ici dans la cave d'une maison par un obus qui a pénétré par le soupirail... »
2 novembre: «Les mitrailleuses boches nous arrosent; les balles passent au-dessus de nous. À ma gauche j'entends crier : «Ah maman!» Puis silence.» 1er décembre: «L’ordre est donné de rompre les faisceaux, de mettre la baïonnette et de partir à l’attaque (...) Nous voilà dans la zone balayée par les balles... Dzing, Dzing, Dzing... Il y en a qui tombent. On court, on bondit, il y en a qui crient, il y en a qui rient...»
Dans cette lutte à mort pour quelques mètres de terrain, les valeurs humaines n'ont pas totalement disparu. Pénétrant dans une tranchée remplie de cadavres ennemis, la section de Barbey enterre les morts, malgré les obus qui pleuvent. «Creuser n’est rien, mais c'est de transporter ces pauvres corps tout mutilés qui est le plus dur.»
Atteint par deux balles à la tête et à l'épaule, Barbey est évacué des zones de combat, puis réformé en 1916. Quand, à la fin des années 20, l’ex-poilu et historien Jean Norton Cru recense les témoignages de la Grande Guerre, il s'enthousiasme pour le récit du Vaudois. «Un pur joyau (...) À lire ce journal, je me demande toujours s'il a été égalé dans la peinture de la vie du soldat au jour le jour.»
Extrait de Swissinfo, 30 janvier 2014
Le peintre Valdo Barbey
Il y a tout juste un siècle, à l’automne 1915, l’écrivain Blaise Cendrars était grièvement blessé lors de l’offensive de Champagne. Dès le début du conflit, ce Suisse d’origine protestante avait lancé dans la presse un appel à tous les étrangers vivant en France afin qu’ils s’engagent, comme lui, pour leur pays d’accueil. Les Suisses furent fort nombreux à y répondre ou même à le devancer, puisqu’on estime qu’environ 7000 d’entre eux s’engagèrent pour la France et combattirent au sein de la Légion étrangère.
A ces milliers de volontaires, il faut ajouter encore l’engagement des Suisses ayant fraîchement obtenu la nationalité française, dont le plus célèbre fut sans doute l’écrivain Guy de Pourtalès, descendant de huguenots du Refuge. Cependant, un autre artiste, plus méconnu, le peintre Valdo Barbey mérite d’être également cité avec ce dernier.
Né en 1880 dans le canton de Vaud, il est le fils de William Barbey, célèbre botaniste et membre éminent de l’Église libre vaudoise, et de Caroline Boissier, fille d’un autre botaniste de renom, et élevée par Valérie de Gasparin, protestante engagée.
Valdo Barbey est d’abord l’élève du peintre suisse Eugène Burnand, bien connu des protestants pour ses illustrations des Évangiles. Dès 1897, il s’installe à Paris où il entre à l’Ecole des Beaux arts. Là, il se lie d’amitié avec d’autres artistes comme André Dunoyer de Segonzac. Durant les années 1900, c’est à leurs côtés qu’il présente ainsi ses œuvres, notamment au Salon des artistes indépendants et au Salon d’automne.
Naturalisé français peu avant la guerre, Valdo Barbey est mobilisé en août 1914. En sa qualité de peintre, il est affecté tout d’abord à des travaux de dessin, chargé de représenter les différents uniformes ennemis. Mais impatient de combattre, Barbey réclame son affectation pour le front. C’est ainsi qu’en octobre 1914, il obtient enfin d’être envoyé en première ligne comme simple soldat.
Sa guerre ne durera que 60 jours : ces 60 jours qui vont jusqu’au 22 décembre 1914, jour où Valdo Barbey reçoit deux balles à l’épaule et à la tête dans le bois de Noulette. Très gravement atteint, il passe seize mois à l’hôpital avant d’être définitivement réformé en 1916.
Cette guerre, sa guerre, Valdo Barbey a choisi d’en livrer la teneur dans un ouvrage qu’il publie en 1917 sous le pseudonyme stendhalien de Fabrice Dongot, avec ce titre : Soixante jours de guerre en 1914.
Nulle intention littéraire derrière, comme il l’explique dans sa préface : « L’auteur de ce journal est un peintre incapable d’aucune littérature. Il … se risque à livrer à un public déjà saturé de livres de guerre ce petit carnet où pas un mot, pas une lettre n’ont été modifiés et qui fut ramassé sur le champ de bataille en même temps que son propriétaire. »
C’est précisément l’authenticité de ce journal qui donne au livre de Valdo Barbey tout son intérêt, salué aussitôt par Jean Norton Cru dans son grand œuvre « Témoins », passant au crible critique tous les témoignages sur la grande guerre.
D’une grande discrétion, Valdo Barbey poursuit après guerre sa vie de peintre et d’illustrateur et meurt à Paris en 1964. Son ami Dunoyer de Segonzac lui rendit ainsi hommage : « La belle et pure figure du peintre Valdo Barbey a toujours évoqué pour moi et pour ses amis ce saint Sébastien peint par le Pérugin qui, transpercé de flèches, gardait son élégance et sa souriante sérénité. S’il n’a pas connu le tir des archers, il a connu celui des mitrailleurs qui l’ont criblé de balles durant la guerre de 1914-1918. Je ne l’ai jamais entendu formuler aucune plainte : il s’excusait même des soins que son état nécessitait… Un artiste passionné de la France à laquelle il a consacré sa vie et son œuvre. »
Le livre Soixante jours de guerre de Valdo Barbey, longtemps introuvable, a été réédité en 2004 aux éditions Bernard Giovanangeli avec une préface de Michel Mohrt et les croquis de l’auteur qui l’illustraient à l’origine.
Christiane Guttinger, 23 janvier 2016
In : Huguenots en France